Correspondance - Ludwig Schwarz

Le prêtre venait tout juste d'entamer son deuxième bol de mijoté de sanglier au fromage quand le messager de Tourbière vint cogner au domicile des parents Schwarz.

C'est Ludivine, la matriarche, qui récolta la missive pour ensuite l'apporter à son unique fils. Ce dernier eut bien du mal à la lui arracher des mains alors que la femme rondelette au visage bienveillant s'extasiait du fait que son 'garçon' puisse recevoir du courrier d'une 'jolie fille'.

Ludwig avait lu la lettre une fois, puis deux fois, le visage recouvert de ce masque de neutralité déconcertante. À deux reprises, il avait arqué les sourcils.

'' Je suis tout ça, moi ? '' avait-il marmonné en parcourant les plaintes amoureuses couchées sur le parchemin.

Il ne s'était pas pressé pour répondre, laissant le pli de côté pour vaquer à son occupation principale en Tourbière : Convaincre son père de se retraiter pour la deuxième fois de l'armée, puis offrir des bénédictions aux troupes.

C'est durant la nuit qu'il trouva l'envie plus que la force de répondre à la jeune Gryffon. Peu doué en affaire de coeur, il avait chiffonné plusieurs feuilles avant d'en avoir une qu'il jugea potable à l'envoi.

Citation :

Evelyne,

Navré de vous avoir inquiétée par mon départ soudain. Des circonstances familiales m'ont temporairement amené à ma ville natale, et je n'ai pas voulu perdre une seule seconde. Je garde en souvenir agréable la vision de votre visage serein et reposé alors que je quittait nos appartements au petit jour. Cette image m'accompagne nuit et jour pour me convaincre que ce monde n'est pas que misères et atrocités.

Je me doute bien que vous soyez, derrière vos beaux mots à mon égard, fâchée par mon silence. Je ne vous en tiendrai pas rigueur, cependant. Comme je crois avoir réussi à vous faire comprendre depuis le début de notre relation, mon devoir saura toujours être ma priorité, quelles que soient les circonstances.

Je ne devrais pas tarder à revenir en Valcoeur, si cela peut vous mettre un peu de baume au coeur. D'ici quelques jours, je quitterai Tourbière avec, je l'espère, l'esprit apaisé. Si vous préférez me croiser à Bellac, ce serait selon votre bon désir, je vous dois bien ça.

Cordialement,

Ludwig

PS : Ca ne vous ennuie jamais, de perdre au backgammon ? Vous connaissez pourtant mes talents.

''C'est quoi, le backgammon ?''

Le prêtre avant sursauté si fort qu'il en était presque tombé de sa chaise. Écrasant une main contre le visage de Lucille, sa petite-cousine, qui s'était glissée derrière son dos pour regarder par dessus son épaule, il l'écarta sans ménagement, la gamine de 7 ans poussant un glapissement mi amusé, mi outré.

Si la gosse de son cousin Lucius se mettait aussi à se mêler de sa vie amoureuse, ça promettait d'accélérer son départ.

Il cacheta donc la lettre, évitant les mains rapides et curieuses de la jeune fille que sa mère gardait pour la journée, puis l'envoya pour le courrier.